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l'Édito Dossier Interpro Entrevue Presse

Agnès Delbarre, une voix entre les lignes

Quand on écoute France Bleu Nord, on connaît Agnès Delbarre. Cette voix incontournable de la radio défend depuis des années la création et la culture. Elle ouvre généreusement les ondes aux spectacles de théâtre, aux concerts et aux publications, autant qu’à celles et ceux qui les portent. Cet été, et pour la première fois, elle propose avec France Bleu Nord une série hebdomadaire sur les métiers du livre en partenariat avec l’Agence régionale du Livre et de la Lecture des Hauts-de-France.

Cela fait des années que je travaille sur le livre, et que je trouve qu’il doit avoir une place importante dans la vie des gens, parce que c’est un endroit de ressourcement extraordinaire pour chacun. Le livre peut nous faire aimer la vie, et je voulais qu’on l’entende.


Propos recueillis par François Annycke

FA : Pourriez-vous vous présenter brièvement ?

AD : Je suis Agnès Delbarre, animatrice radio à France Bleu Nord, enseignante en arts dramatiques au conservatoire de Lille. Je suis également professeure de yoga et maman de deux enfants. Et j’ai plein de bibliothèques dans ma maison.

 

FA : Quel était votre parcours jusque France Bleu Nord ? Et comment en êtes-vous venue à animer des émissions culturelles ?

AD : Quand je suis sortie du conservatoire de Lille, je n’avais plus très envie de faire du théâtre. Je suis arrivée à FIP-Lille pour faire des remplacements. Je faisais aussi beaucoup de voix studio, du doublage... À la radio, j’ai trouvé un esprit de famille que je ne connaissais pas au théâtre. Plus je travaillais, plus je m’y retrouvais. J’ai donc continué. La radio, dans les années 90, c’était encore artisanal. Un jour on m’a demandé de faire une chronique théâtre, puisque j’en avais fait. Puis, parce que j’avais l’habitude de faire des voix, on m’a demandé « tu ne voudrais pas lire des lettres d’amour ? », j’ai donc lu la correspondance entre Alfred de Musset et George Sand, et bien d’autres. De là, j’ai très vite été affiliée au spectacle, à la littérature etc. La culture a une place variable dans les radios locales, mais comme c’est mon mode de vie, j’ai logiquement porté ce sujet tout au long de ma carrière. Le livre est au centre des choses et ouvre des univers. C’est un lieu d’évasion, de réflexion, d’échanges, d’émerveillement… Il y a tellement de livres différents.

 

FA : Vous parlez souvent de livres, aussi.

AD : Parler du livre à la radio, c’est quelque chose de très logique. On est très nombreux à avoir été bercé par la voix de nos parents qui nous lisaient des livres. À la radio, on peut retrouver cette forme de magie. À un moment donné, quand je parlais d’un livre, je lisais un tout petit extrait parce que je trouvais que rentrer par ce biais là dans le livre, par la musique, le choix des mots, la respiration de l’auteur, ça fonctionnait très bien. Quand on présente un livre, on raconte le début d’une histoire et après on dit « vas-y, continue ».

 

FA : Quels sont vos plus beaux souvenirs de lecture ?

AD : C’est dur, ce genre de question ! En tout cas il y a une autrice que je révère depuis des années, c’est Joyce Carol Oates. Notamment pour Nous étions les Mulvaney, ou Blonde. Je me souviens d’avoir eu de vrais moments de sensations, que quelqu’un avait placé la bonne parole au bon endroit, que tout à coup je lisais quelque chose qui m’était destiné. Elle est capable d’aller dans les violences les plus incroyables, ou d’être très délicate ; c’est d’une force ! Les Années d’Annie Ernaux, c’est tout aussi parfait. Dans ce livre, tout y est. Il raconte le monde par le menu, autant que par des éblouissements. Je pense aussi à Price, de Steve Tesich. Price, c’est le nom du personnage principal, qui évolue dans une ville de province américaine. C’est un adolescent juste avant sa vie d’adulte, qui se trouve dans ces deux ou trois ans d’errance, lorsqu’on voit le costume d’adulte, mais qu’on se demande encore si on doit le porter, quel vêtement on nous a refourgué, parce qu’on le trouve trop grand, trop moche... Ce moment où l’on peut encore avoir des rapports babaches entre ados, mais où l’on voit presque déjà la calvitie qui pointe, le bout de ventre qui va arriver d’ici vingt-cinq ans, cette vie qui va nous engluer. C’est un livre qui m’a bouleversé. Et puis il y a certains livres qu’on ne rencontre pas à vingt ans, mais à trente, cinquante, ou soixante-dix ans. Je pourrais citer Balzac, et Les Illusions perdues, où je me suis dit mais quel ogre littéraire a pu inventer de tels mondes ? Ou Zola qui a pris en main les gens et la misère qu’on ne montrait jamais. J’en ai plein d’autres ! En poésie il faut lire Philippe Jacquottet, notamment dans À la lumière d’hiver ; je pourrais aussi citer Mourir de dire : la honte, de Boris Cyrulnik, deux façons d’accompagner les chemins de vie. 

 

FA : Vous portez, en partenariat avec l’Agence, une série d’été sur les métiers du livre. Pourriez-vous nous la présenter ?

AD : Cela fait des années que je travaille sur le livre, et que je trouve qu’il doit avoir une place importante dans la vie des gens, parce que c’est un endroit de ressourcement extraordinaire pour chacun. Le livre peut nous faire aimer la vie, et je voulais qu’on l’entende.

Et puis, au fur et à mesure des années, je me suis également rendu compte des nombreux métiers qu’on ne connaissait pas. Ils forment une communauté de passeurs de relais, depuis l’imaginaire de l’auteur jusqu’au lecteur, en passant par la librairie ou la bibliothèque. Chacun peut prendre en main un livre et le défendre à sa manière. Je trouvais ça très beau, de mettre en lumière ces métiers, et cela dans notre région, qui est très riche dans le domaine. C’est important de se dire que le monde du livre n’est pas qu’à Paris, coincé entre deux arrondissements, mais que c’est ici aussi en Hauts-de-France. Et je trouve l’idée de fabrication, d’artisanat, très belle également, tous ces petits éditeurs qui ont une humilité incroyable et un talent fou. Le livre ne nait pas d’une formule magique, mais d’un travail quotidien et d’une passion commune. Je voudrais qu’on retrouve tout cela dans ces émissions, qui se déclinent en une série de métiers, ceux qu’on connait comme ceux de l’écrit, du dessin, ou des métiers plus difficiles à comprendre comme ceux de la correction, de la traduction, ou de la conservation. Car le patrimoine écrit est également assez méconnu. Comme il y a un fond permanent dans un musée, il y a un fond permanent dans une bibliothèque, et on en a de magnifiques dans la région.

 

FA : Dernière question : quel livre conseillerez-vous pour cet été ?

AD : C’est encore une question compliquée ! Je suis en pleine lecture de Politiser le bien-être, de Camille Teste ; un livre qui pose une réflexion extrêmement juste sur le monde du bien-être aujourd’hui. Il existe de plus en plus de livres pour se faire du bien, comme on va se faire du bien en faisant une séance de yoga, ou une méditation de pleine conscience. Camille Teste porte un vrai regard sur ce mouvement en se disant pourquoi ces lieux de bien-être ne défendent pas de valeurs, ne sont pas politiques, mais sont au contraire complètement investis par la société de consommation, et comment transformer cela. C’est brillant. Je pourrais aussi conseiller une bande dessinée, quelque chose qui n'est pas plus léger mais vraiment génial : Petar et Liza, de Miroslav Sekulic, un auteur croate au graphisme hallucinant. C’est l’histoire d’un homme décalé, qui préfère parler aux chiens qu’aux gens. Tout y est juste, d’une grande sensibilité. C’est un immense coup de cœur.


Retrouvez la série de l’été d’Agnès Delbarre sur France Bleu Nord tous les samedis et dimanches, à 7h50 et 17h50, du 17 juillet au 27 août – puis sur ar2l-hdf.fr

En savoir plus sur la série de l'été

Livres cités :
  • Honoré de Balzac, Les Illusions perdues, 1837-1843
  • Boris Cyrulnik, Mourir de dire : la honte, Odile Jacob, 2010
  • Annie Ernaux, Les Années, Gallimard, 2008
  • Philippe Jacquottet, À la lumière d’hiver, Gallimard, 1977
  • Joyce Carol Oates, Nous étions les Mulvaney, Stock, 1998 (1996), traduction : Claude Seban
  • Joyce Carol Oates, Blonde, Stock 2002 (2000), traduction : Claude Seban
  • Joyce Carol Oates, Les Chutes, Philippe Rey, 2005 (2004), traduction : Claude Seban – prix Femina étranger
  • Miroslav Sekulic, Petar & Liza, Actes sud, 2022, traduction : Wladimir Anselme et Ana Setka
  • Steve Tesich, Price, Monsieur Toussaint Louverture, 2014 (1982), traduction : Jeanine Hérisson (1ère traduction 1984 aux presses de la Renaissance)
  • Camille Teste, Politiser le bien-être, La collection sur la table / Binge Audio, 2023